"La fiction me suit comme une ombre, alors que tout ce que je voudrais c'est dormir."

 

Ce qui fait sens pour l'artiste jacques Tison, dans cette phrase, devenue titre de l'exposition et extraite du Livre de l'intranquillité de Fernando Pessoa, c'est le mot fiction.

 

Qu'est ce que le peintre se raconte comme histoire, en peignant sa toile?

 

Jacques Tison se nourrit du paysage qui l'environne et des images qu'il croise ici et là, suivant diverses sources inspirantes: l'architecture, le graphisme...

"Les images viennent à nous" dit-il. Le réel, dans sa répétition-voir tous les jours la même chose, faire le même trajet, être confronté aux mêmes espaces- laisse une empreinte sur la rétine et se transforme en image. C'est à dire en récit, en fiction. Il ne s'agit pas de rendre ici au mieux la réalité, bien au contraire.

Le traitement pictural est là pour fictionner le réel.

 

Les grands aplats blancs, les architectures vides aux ouvertures percées, les accords froids des couleurs donnent à voir une figure comme creusée dans la toile, un paysage révélé par le peintre qui est allé le chercher au fin fond de la peinture. Il n'a pas recouvert la toile de lignes et de couleurs, mais il en a creusé la surface blanche et au-delà, celle du mur même, comme un sculpteur va chercher dans le marbre la forme qui s'y tient . Il creuse et va chercher à faire advenir un paysage intérieur, silencieux et vaste, en dehors de toute agitation, de toute dispersion.

 

Comme pour les images, jacques Tison laisse aussi advenir les mots. Il dit que lorsque ce projet d'exposition fut formulé, le mot qui se présenta est translation. Il s'agit donc de déplacer quelque chose d'un lieu à un autre. En ce sens, très prosaïquement, une exposition est un acte de translation. Au-delà, il y a quelque chose d'un glissement fluide dans la peinture de jacques Tison. Le regard se déplace du sujet peint à l'aplat, sorte d'ouverture sur le vide, invitation à accélérer le regard, sortir de la peinture. Glissement. Mouvement, de la peinture vers le blanc, vers le mur...

Il dit: "En peinture, dans le même geste on cache et on révèle."

 

Dans l'espace d'exposition, les peintures posées sur des plots, parfois, plutôt qu' accrochées aux murs, les toiles blanches non peintes, puis un grand aplat de mur blanc, les petits formats qui chahutent l'œil vers le trop haut, le trop bas, des volumes entre sculpture et peinture dans l'espace...donnent une impression de continuité à l'ensemble. Nous, spectateurs, n'allons pas de toile en toile, mais sommes invités à circuler dans un espace cohérent et fluide. Oui, un paysage du Tarn et Garonne semble faire territoire commun avec une maison perdue dans les neiges norvégiennes. Par le pouvoir de l'espace pictural de jacques Tison, celui-là même ou la fiction nous suit comme une ombre.

 

Sylvie Corroler directrice de la Fondation espace écureuil pour l'art contemporain                                                               janvier 2022

 

 

Entretien de Jacques Tison avec Sylvie Corroler (directrice de la Fondation Espace Ecureuil)
( film de François Talairach –décembre 2021)

Parcours des Arts Sud et Espagne n 69 -Janvier 2022

 

 

Jacques Tison peint des images, des grands formats , des grands silences, des paysages, des architectures, du blanc, du vide. Des paysages qui n'en seraient pas ou juste des prétextes pour atteindre la peinture, l'idée même de la peinture dans ce qu'elle incarne du doute du peintre.

Mais la peinture demeure, révélée par l'image et ne peut échapper à l'évocation d'un état de solitude et d'interrogation devant ces paysages énigmatiques, déjà vus mais inconnus, portant de somptueux fragments de peinture à déceler dans ces faux-semblant d'absence.

Et là où le peintre aspire à la disparition et à l'inaccompli, des lignes traversantes, une ombre, un feuillage, un caisson enseveli, des neiges bleutées, un ciel blanchi, un champ en détrempe s'insinuent dans l'espace et la dé-matérialité de la peinture, comme des résistances précieuses, inévitables, presque involontaires...

                                                                                                                                                                                                    Brigit Bosch. 2017

 

Il n’y a pas si longtemps je côtoyais rêveur les maisons de Jacques Tison. Jamais mon regard n’en traversait les murs. Jamais d’échos entre ces bâtiments aveugles. Je me heurtais à de l’opaque, à du mat insonore, à de l’ombre claire. C’est cela. De l’ombre claire. Mais pourquoi, me disais-je vouloir percer le secret de ces constructions de craie ? Maisons parfois sorties trempées des bassins bleus d’une carrière, sémaphores improbables baignant dans la clarté lunaire. Non. Jacques Tison, tu gardais en ces murs de zinc ton secret de peintre. Dans ce mat insonore respirait doucement l’implacable géométrie des formes dans l’éclat des blancs d’argent ou de titane et ces grands à-plat de blés-murs. Ton secret de peintre, ne le tiens-tu pas des autres éblouis des ciels de Sainte Victoire et que tu aurais gentiment écartés de ton chemin – chemin actuel d’un peintre de son époque dont l’intelligence laisse aller la contemplation, la vision intérieure, mais toujours la bride sur l’encolure prête à relever du mors la trop fougueuse allure ? Et ne l’as-tu pas pensé, ou étais-tu pensé en composant ces formes, à ces parois insondables de blocs de silence que nous a légué l’histoire, de blocs de silence où s’entendent parfois si l’on est encore à l’écoute, ces terribles murmures, ces clameurs oubliées ?

N’est-ce pas à ce moment, moment de clairvoyance, Jacques, qu’il m’a été donné d’entendre dans cette lumière, dans ta lumière de zinc et de blé, s’élever le chant des foules disparues, des cohortes libérées et de voir alors s’ouvrir les murs et se déverser dans l’espace que tu leur auras réservé, si sacré, si vaste, cette musique insoupçonnable, magnifique et terrible dans sa ténuité même de simple pellicule colorée ?

Xavier Krebs

5 février 2013